Nutri-Score : pourquoi exempter les aliments AOP et IGP n’aurait aucun sens

Les discussions parlementaires concernant l’obligation d’afficher Nutri-Score, le logo qui associe cinq lettres à cinq couleurs pour informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des aliments, se poursuivent à l’Assemblée nationale et au Sénat. Mais s’il était adopté, l’un des sous-amendements débattus pourrait créer une brèche dans le dispositif, en excluant les produits bénéficiant d’une appellation d’origine protégée (AOP) ou une indication d’origine protégée (IGP). Une décision dépourvue de tout fondement scientifique.


Le 7 novembre 2026, dans le cadre de la discussion sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté deux amendements rendant obligatoire l’affichage du Nutri-Score sur les emballages de tous les aliments. Les entreprises qui souhaiteraient déroger à cette mesure se verraient dans l’obligation de s’acquitter d’une taxe de 5 % de leur chiffre d’affaires.

Si les parlementaires résistent aux pressions des lobbies qui s’y opposent et maintiennent cette disposition jusqu’à l’issue du processus législatif, il s’agira d’une très bonne nouvelle pour les consommateurs, et d’une victoire en matière de santé publique.

Toutefois, une nuance de taille tempère l’enthousiasme que pourrait susciter un tel texte de loi : quelques députés ont en effet réussi, par un sous-amendement, à faire exclure de l’obligation d’afficher le Nutri-Score les produits ayant une appellation d’origine protégée (AOP) ou une indication d’origine protégée (IGP).

Pourtant de telles exemptions n’ont pas de sens ni en termes scientifiques, ni en matière de santé publique, ni même pour la défense des produits AOP/IGP.

AOP et IGP ne donnent aucune indication nutritionnelle

Rappelons que le fait qu’un aliment soit « traditionnel », « gastronomique » ou « fabriqué selon une méthode ancestrale » ne donne aucune information sur sa valeur nutritionnelle, et ne signifie pas qu’il peut-être consommé sans restriction.

Les appellations et indications d’origines protégées informent uniquement sur le rattachement à un terroir, à un mode de production vertueux et un savoir-faire reconnu avec un cahier des charges précis. Si intéressants que soient ces éléments, ils n’ont rien à voir avec le sujet sur lequel renseigne le Nutri-Score, qui est, rappelons-le, la qualité nutritionnelle des aliments.

Les arguments en faveur de l’exemption des aliments AOP et IGP, mis en avant de longue date par certains lobbies agroalimentaires, s’appuient sur des arguments que l’on pourrait qualifier de « gastro-populistes ». Il s’agit de promouvoir certaines caractéristiques ou qualités des aliments, comme le terroir ou la tradition, pour occulter leur composition nutritionnelle ou leurs effets sur la santé. Avec, en arrière-plan, la volonté de défendre des intérêts économiques.

Dans un tel contexte, un « aliment avec un signe d’identification de la qualité et de l’origine » n’est pas forcément un « aliment favorable à la santé ». En effet, dans le cahier des charges pour attribuer une AOP ou une IGP, ne figure aucune référence à la composition et la qualité nutritionnelle des produits. Les critères d’attribution portent sur d’autres éléments que les aspects nutritionnels.

À l’inverse, la notion de profil nutritionnel n’implique que cette dimension spécifique : il ne s’agit pas de qualifier les caractéristiques des aliments en termes d’autres qualités, notamment liées à l’origine des produits. Mais la qualité nutritionnelle est assurément la dimension principale à prendre en compte si l’on veut préserver sa santé.

Les aliments AOP et IGP sont, sur le plan nutritionnel, des aliments comme les autres

On l’a vu, ce n’est pas parce qu’un produit est traditionnel, qu’il fait partie du patrimoine culinaire et qu’il est lié aux terroirs (ce sont des éléments tout à fait respectables) que cela lui confère une qualité nutritionnelle favorable. Même avec une appellation d’origine (AOP/IGP), si un produit traditionnel est gras, sucré ou salé, il reste un produit gras, sucré ou salé !

C’est le cas de la majorité des fromages et des charcuteries, du fait de leur teneur en graisses saturées et en sel ainsi que de leur densité calorique, qui, même s’ils ont une AOP ou une IGP, se retrouvent légitimement classés D ou E (et C pour les moins salés et les moins gras, comme les fromages emmental ou mozzarella, ou encore certains jambons).

Il faut souligner que fromages et charcuteries sont les principales catégories de produits traditionnels qui ont un Nutri-Score défavorable. Une étude de l’UFC Que Choisir a montré qu’en réalité, 62 % des aliments « traditionnels » sont classés A, B ou C.

Aucune interdiction à consommer ces aliments, mais avec modération

Comme il est fait état dans la communication qui accompagne le Nutri-Score, le fait d’être classé D ou E n’indique pas que le produit ne doit pas être consommé, mais qu’il peut l’être dans le cadre d’une alimentation équilibrée en petites quantités et/ou pas trop fréquemment, en évitant des consommations excessives.

Selon les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), il faut limiter la consommation de charcuterie à 150 grammes par semaine et le nombre de produits laitiers à 2 par jour (ce qui comprend le lait, les yaourts et les fromages). En outre, la recommandation générale sur le fait de ne pas manger trop gras et trop salé amène à limiter la consommation de fromages et charcuteries (qui sont riches en graisses saturées et en sel !).

En réalité, il n’y a donc rien de révolutionnaire dans le fait d’afficher un Nutri-Score mettant en évidence la réalité de la composition nutritionnelle, non optimale sur le plan santé, de ces produits.

Le classement des fromages et des charcuteries par le Nutri-Score (qu’ils bénéficient d’une AOP/IGP ou non) est en totale cohérence avec les recommandations nutritionnelles générales du PNNS et celles en vigueur au niveau international, qui soulignent toutes la nécessité de limiter leur consommation.

Pourrait-on imaginer que ces recommandations de santé publique, en matière de consommation de fromages et de charcuteries, s’appliquent à tous les produits de ce type, mais que ceux bénéficiant d’une AOP ou d’une IGP en soient exclus ? Une telle décision viderait de leur sens lesdites recommandations. C’est pourtant le même raisonnement qui sous-tend le sous-amendement sur le Nutri-Score proposé dans le cadre de la discussion sur le PLFSS.

Les intérêts économiques avant la santé publique ?

Il semblerait en réalité que, derrière cette pseudo-défense des fromages avec une AOP ou une IGP, se cache la défense d’intérêts économiques considérables.

Rappelons que la multinationale française Lactalis, qui commercialise la marque Société, est la n°1 mondiale des produits laitiers (30,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024). Elle se partage la grande majorité des AOP fromagères avec Savencia Saveurs & Spécialités (5ᵉ groupe fromager mondial, 7,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024), qui commercialise la marque Papillon, ainsi qu’avec le groupe coopératif laitier Sodiaal (Société de diffusion internationale agroalimentaire, 5,5 milliards de chiffre d’affaires en 2022).

S’il y a moins de grands industriels derrière les charcuteries affichant une IGP, on retrouve, comme pour les fromages, des élus des régions productrices qui montent au créneau pour défendre ces produits, avec des arguments identiques de déni de leurs compositions nutritionnelles (jusqu’à la ministre de l’agriculture elle-même, élue du Doubs, zone de production de charcuteries et de fromages avec une AOP ou une IGP).

Consommer moins mais mieux, grâce au double affichage

Pour finir, soulignons qu’il ne s’agit pas d’opposer deux systèmes d’affichage caractérisant des dimensions différentes des aliments, ce qui aurait d’autant moins de sens que, comme nous l’avons rappelé, leur vocation n’est pas la même.

Il est important d’afficher les labels AOP/IGP, afin de valoriser les aliments qui, dans leur catégorie, ont un mode de production vertueux et sont rattachés aux terroirs, par rapport aux produits équivalents qui n’en ont pas.

Mais cela ne dispense pas de renseigner de façon claire les consommateurs sur leur composition nutritionnelle. Or, pour cela, le Nutri-Score a démontré, études à l’appui, son intelligibilité.

Il serait donc plutôt utile de rappeler que l’affichage du label AOP/IGP aux côtés du Nutri-Score est parfaitement en ligne avec le concept « consommer moins, mais mieux ». Les consommateurs qui consommeront en connaissance de cause ces produits, en respectant les recommandations nutritionnelles qui visent à limiter leur consommation, auront ainsi leurs possessions tous les éléments qui leur permettront de s’orienter vers des produits qualitatifs, locaux, artisanaux. À l’inverse, les produits avec une AOP ou une IGP qui n’affichent pas le Nutri-Score pourraient bien se voir perdre leur confiance.


Auteurs

Serge Hercberg, Professeur Emérite de Nutrition Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13) – Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord; Aline Meirhaeghe, Chercheuse, Inserm; Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord; Mathilde Touvier, Directrice de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inrae, Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Université Paris Cité, Université Paris Cité et Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAe, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm, Université de Paris, Université Sorbonne Paris Nord, Cnam, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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