Nouvelle recherche : des mélanges d’additifs alimentaires associés à une augmentation du risque de diabète de type 2

En matière d’alimentation, de nouveaux résultats de recherche suggèrent un lien entre certains additifs présents dans les aliments industriels et l’augmentation du risque de diabète de type 2. Mathilde Touvier, qui dirige l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (CRESS-EREN, Inserm/Inrae/Cnam/Université Sorbonne Paris Nord/Université Paris Cité), a encadré ces travaux, conduits par sa doctorante Marie Payen de la Garanderie. Elles nous disent ce qu’il faut en retenir.


En forte progression partout dans le monde, le diabète de type 2 – qui représente plus de 92 % des cas de diabète en France – survient généralement après 40 ans. Il est dû à une baisse de sensibilité cellulaire à l’insuline, l’hormone du pancréas qui facilite l’entrée du glucose dans les cellules. Si, dans notre pays, l’augmentation de l’incidence de cette maladie peut en partie s’expliquer par le vieillissement de la population, l’évolution des modes de vie, notamment le manque d’activité physique et les modifications en matière d’alimentation, semble aussi jouer un rôle.

The Conversation : Pourquoi avoir étudié les effets des mélanges d’additifs sur la santé ?

Mathilde Touvier : Historiquement, les additifs alimentaires sont évalués par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de façon individuelle.

Cependant, dans la vie quotidienne, les aliments contiennent un grand nombre d’additifs : dans un soda « sans sucre », on peut trouver non seulement de l’aspartame (et/ou de l’acésulfame K, le sel de potassium de l’acésulfame, au pouvoir sucrant 100 à 200 fois plus élevé que le sucre), mais aussi de l’acide citrique, du colorant caramel au sulfite d’ammonium, etc. En outre, les combinaisons d’aliments et de boissons fréquemment consommés ensemble contribuent au fait que nous ingérons régulièrement des mélanges d’additifs.

Or, on sait que lorsque des substances chimiques se retrouvent mélangées, leurs effets peuvent être différents de ce qu’ils sont lorsqu’elles sont prises séparément. Les interactions qui se produisent au sein du « cocktail » de produits chimiques peuvent en effet engendrer des synergies (l’effet des substances concernées se renforce) ou des antagonismes (leurs effets sont annulés ou diminués). Ce qui peut avoir des conséquences pour la santé qui ne sont pas détectables lorsque les substances sont testées seules.

Dans le cadre de ces travaux, nous avons identifié les principaux mélanges d’additifs auxquels sont exposés les participants de la cohorte française NutriNet-Santé (plus de 100 000 adultes), puis nous avons évalué les associations entre les expositions à ces mélanges et la santé. La première étude que nous publions ici porte sur le diabète de type 2. Les analyses sont en cours sur d’autres pathologies (cancers, maladies cardiovasculaires, hypertension artérielle…).

T. C. : Certains de vos précédents travaux s’appuyaient déjà sur la cohorte NutriNet-Santé ?

M. T. : Oui. Cette recherche s’inscrit dans le contexte du grand projet « Additives », qui a reçu une bourse du Conseil européen de la recherche (European Research Council, ERC) et de l’Institut national du cancer (Inca).

Dans ce cadre, nous avions notamment déjà mis en évidence un lien entre certains émulsifiants (des additifs alimentaires destinés à obtenir certaines textures dans les aliments industriels et à permettre la stabilité des mélanges obtenus dans le temps) et un risque accru de maladies cardiovasculaires, de certains cancers et de diabète de type 2. Nous avions également montré des liens entre consommation d’édulcorants (comme l’aspartame ou l’acésulfame K) et incidence plus élevée de maladies cardiovasculaires, de cancers et de diabète.

Nous nous appuyons pour cela sur la cohorte NutriNet-Santé, une étude de santé publique coordonnée par l’EREN-CRESS (équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle,Inserm/Inrae/Cnam/Université Sorbonne Paris Nord/Université Paris Cité). Lancée en 2009, elle implique plus de 180 000 « nutrinautes », des consommateurs qui acceptent de remplir des questionnaires détaillés sur leurs habitudes alimentaires et leur santé. Dans ces travaux en particulier, les données de plus de 100 000 nutrinautes ont été analysées.

En croisant ces informations avec celles contenues dans les bases de données de composition des aliments (Open Food Fact ou Oqali, par exemple), nous sommes pour la première fois en mesure d’explorer les effets potentiels des mélanges d’additifs sur la santé.

Nous avons aussi évalué les doses auxquelles sont soumis les consommateurs, en effectuant des dosages ou en nous basant sur ceux effectués par le magazine Que Choisir, notamment, ainsi que sur des données quantitatives fournies par l’EFSA.

De cette façon, nous avons pu déterminer les expositions à plusieurs centaines d’additifs différents et observer quels sont les mélanges les plus représentés dans l’alimentation. Nous avons ensuite étudié les liens entre l’exposition à ces mélanges et l’incidence du diabète de type 2.

T. C. : Quels résultats avez-vous obtenus ?

M. T. : Nous avons identifié cinq mélanges d’additifs auxquels ces consommateurs français étaient particulièrement exposés. Nous avons considéré tous les additifs consommés par au moins 5 % des participants. Au final, nous avons intégré un peu plus de 70 additifs dans nos modèles de mélanges. Sur ces cinq mélanges, nous avons observé que deux d’entre eux étaient associés à une incidence plus élevée de diabète de type 2.

Le premier mélange concerné est plutôt caractéristique des produits ultratransformés de type bouillons, desserts lactés, sauces industrielles… Il contient des additifs tels que des émulsifiants (carraghénanes E407, amidons modifiés E14xx, gommes de guar E412 ou gommes xanthanes E415, polyphosphates E452, pectine E440…), ainsi qu’un conservateur (sorbate de potassium E202) et un colorant (curcumine R100).

Le second mélange associé au diabète de type 2 était caractéristique des boissons industrielles. Il contenait des correcteurs d’acidité (acide citrique E330, citrate de sodium E331, acide malique E296, acide phosphorique E338), des colorants (caramel au sulfite d’ammonium E150d, anthocyanes E163, extrait de paprika E160c), des émulsifiants (gomme arabique E414, pectine E440, gomme de guar E412) et un agent d’enrobage (cire de carnauba E903) et les trois édulcorants principaux que l’on trouve sur le marché français (aspartame E951, acésulfame potassium E950 et sucralose E955).

T. C. : Comment avez-vous procédé pour déterminer l’augmentation du risque de diabète de type 2 ?

Marie Payen de la Garanderie : Nous avons commencé par calculer un « score d’adéquation au mélange » pour chacun des cocktails testés. Plus les consommateurs avaient un score élevé, plus ils étaient consommateurs. On parle ici d’un continuum d’exposition : à un bout du spectre, certains participants qui consomment peu d’aliments ultratransformés ont un score proche de zéro, tandis qu’à l’autre bout, les plus gros consommateurs ont un score d’adéquation élevé.

Puis nous avons effectué des analyses statistiques pour calculer l’augmentation de risque de diabète associée à un score donné. C’est un peu compliqué, car le calcul fait appel à la notion statistique d’écart-type. Mais nous avons mis en évidence que plus la consommation des deux mélanges cités précédemment était importante, plus le risque de développer un diabète de type 2 augmentait sur la période d’enquête (sur l’ensemble des participants, 1 131 personnes ont développé la maladie).

Pour le premier mélange, nos calculs révèlent que le risque de diabète était 8 % plus élevé pour chaque augmentation d’un écart-type du score. Pour le deuxième mélange, le risque augmentait de 13 % pour chaque écart-type du score. Ces résultats suggèrent donc potentiel sur-risque de diabète chez les consommateurs les plus fortement exposés.

Bien entendu, tous nos modèles ont tenu compte des autres caractéristiques des participants : apports en sucre, graisses saturées, calories, fibres… activités physiques, tabagisme, antécédents familiaux de diabète. Les associations entre les mélanges d’additifs et le risque de diabète étaient examinées « toutes choses égales par ailleurs ».

T. C. : Ces travaux sont cohérents avec les résultats de vos recherches précédentes…

M. P. G. : Nous avions déjà mis en évidence l’existence de liens entre consommation de différents additifs (émulsifiants, édulcorants, etc.) et risque plus élevé de cancer, de maladies cardiovasculaires et de diabète dans l’étude NutriNet-Santé. Toutefois, dans ces précédentes études, les substances étaient examinées une par une.

Ces nouveaux travaux révèlent qu’il existe, d’un point de vue statistique, des interactions significatives entre plusieurs additifs emblématiques des principaux mélanges consommés et que cela pourrait potentiellement impacter la santé (en l’occurrence le risque de diabète ici), au-delà des effets des substances individuelles. Ce constat suggère qu’il pourrait exister des effets « cocktails », les synergies ou antagonismes évoqués plus haut.

T. C. : Quelle est la suite à donner à ces recherches ?

M. T. : Nos collègues de l’Inrae au laboratoire Toxalim, à Toulouse, sont partis de nos observations sur la cohorte NutriNet-Santé et les ont transposées sur des modèles cellulaires. Concrètement, ils ont testé différents additifs et leurs mélanges sur des cellules cultivées en laboratoire, afin d’en établir la toxicité potentielle.

Certains de leurs résultats ont été publiés fin 2024. Ils suggèrent non seulement l’existence d’une toxicité de certaines substances prises séparément, mais aussi des effets de mélange qui vont au-delà des effets individuels. Ce qui appuie donc expérimentalement nos observations.

Des études menées cette fois in vivo, autrement dit sur des modèles animaux, sont également en cours afin de déterminer les effets de ces substances sur le microbiote intestinal, la perméabilité intestinale, etc. L’équipe Métatox à Paris explore, quant à elle, la capacité des additifs à entraîner le développement d’un cancer et, plus spécifiquement, le risque de propagation de la maladie (métastases).

Nous travaillons aussi sur les mécanismes en jeu dans la cohorte NutriNet-Santé : par exemple, nous collectons en ce moment les selles de 10 000 participants pour étudier leur microbiote intestinal, en lien avec leurs expositions aux additifs et aliments ultratransformés.

Par ailleurs, les additifs ne sont pas les seuls composés qui peuvent avoir des effets sur la santé et se retrouver potentiellement impliqués dans des effets cocktails, en plus de leurs effets individuels. Nous sommes également en train d’étudier les conséquences des résidus de pesticides, des contaminants provenant des emballages (plastiques, encres, résines appliquées à l’intérieur des boîtes de conserve…), etc.

T. C. : En attendant les conclusions de ces travaux, quels enseignements tirer des connaissances actuelles ?

M. T. : L’état actuel des connaissances plaide pour une limitation de la consommation de produits industriels ultratransformés, ce qui est la recommandation officielle du Programme national nutrition santé : réduire le recours aux aliments ultratransformés dans son alimentation, qui contiennent des additifs non indispensables, tels que les émulsifiants, colorants ou édulcorants, par exemple.

Par ailleurs, il faudrait également faire évoluer la réglementation pour que soit davantage pris en compte l’effet des mélanges dans les évaluations de la toxicité potentielle. Pour pouvoir légiférer en ce sens, toutefois, il faut des études les plus complètes possibles. C’est pourquoi nous allons continuer nos recherches, pour apporter le maximum d’éléments de réflexion.

Pour y parvenir, il faudrait aussi que les scientifiques aient accès à l’ensemble des substances employées lors de la fabrication des aliments industriels, notamment les auxiliaires technologiques, ces substances qui sont utilisées pendant les processus de fabrication et qui ne sont pas censées se retrouver dans le produit fini mais dans lequel elles sont néanmoins parfois détectées. À l’heure actuelle, cette partie de la production alimentaire est une véritable boîte noire à laquelle les chercheurs n’ont pas accès.

Un appel au recrutement de nouveaux nutrinautes est toujours en cours afin de continuer à faire avancer la recherche publique sur les relations entre la nutrition et la santé. En consacrant quelques minutes par mois à répondre, sur Internet, sur la plateforme sécurisée etude-nutrinet-sante.fr, aux différents questionnaires relatifs à l’alimentation, à l’activité physique et à la santé, vous pouvez contribuer à faire progresser les connaissances, vers une alimentation plus saine et plus durable.


Auteurs

Mathilde Touvier, Directrice de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inrae, Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Université Paris Cité, Inserm et Marie Payen de la Garanderie, Etudiante en doctorat en épidémiologie nutritionnelle, Université Sorbonne Paris Nord

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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