Retour sur les principaux arguments des « anti-Nutri-Score »

Depuis qu’il a été proposé par les scientifiques en 2014, un certain nombre d’informations trompeuses circulent à propos du Nutri-Score.

Ce logo d’information nutritionnelle, destiné à être apposé en face avant des emballages des aliments, a été adopté officiellement par la France en 2017, et plus récemment par la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse. Cela n’a cependant pas suffi à limiter la circulation de fausses informations.

Ce phénomène est encore accentué par les discussions qui ont lieu au sein des instances de la Communauté européenne afin de choisir un logo nutritionnel unique et obligatoire pour l’Europe.

Il est important de distinguer d’une part les critiques légitimes, qui font partie du débat scientifique utile, et concernent les limites du Nutri-Score sous sa forme actuelle, et d’autre part les fausses informations sur le Nutri-Score qui circulent sur les réseaux sociaux et dans certains médias.

Revenons sur les fausses informations les plus couramment rencontrées.

Le Nutri-Score serait simpliste et réducteur

Ces qualificatifs font partie des éléments de langage habituels véhiculés par les lobbys agroalimentaires et sont parfois relayés par diverses personnalités scientifiques. Pourtant, le Nutri-score n’est en aucune façon « simpliste et réducteur », il est en réalité « simple et synthétique », résumant sous une forme intuitive et facile à comprendre par tous, la qualité nutritionnelle globale des aliments. Ce modèle est nécessaire quand on sait que la prise de décision sur un produit en magasin est de quelques secondes seulement.

Derrière son apparente simplicité, pensée pour faciliter sa compréhension par les consommateurs, il repose sur de nombreux travaux scientifiques. Ces derniers concernent d’une part, son mode de calcul – qui intègre les composants nutritionnels d’intérêt en matière de santé publique (ceux à promouvoir et ceux dont il faut limiter la consommation) – et, d’autre part, la validation scientifique de son algorithme.

Le Nutri-Score serait stigmatisant pour certains aliments et anxiogène pour les consommateurs

Dire que Nutri-Score est stigmatisant pour certains aliments n’a pas de sens : le logo n’invente rien, mais permet seulement de caractériser la réalité de la composition nutritionnelle globale des aliments et d’objectiver les différences de qualité nutritionnelle qui existent entre eux. Celles-ci ne sont pas évidentes à percevoir par la lecture des tableaux de déclaration nutritionnelle incompréhensibles et souvent illisibles qui figurent de façon obligatoire sur la face arrière des aliments.

Le Nutri-Score vise à atteindre une cohérence avec les recommandations nutritionnelles de santé publique scientifiquement établies, qui amènent à limiter la consommation de certains aliments : aliments trop sucrés, gras, salés, charcuteries, fromages, etc. Grâce au Nutri-Score, ces aliments sont aisément reconnaissables, via une couleur orange ou rouge, qui invite les consommateurs à une consommation plus occasionnelle et/ou en petites quantités. Sans rien interdire…

Il faut garder à l’esprit que la finalité d’un logo nutritionnel comme Nutri-Score n’est pas de classer les aliments en « sains » ou « non sains », en valeur absolue, comme le ferait un logo binaire (bien vs mal). Une telle finalité pour un logo nutritionnel serait totalement discutable : en effet, le fait qu’un aliment soit sain ou devienne non sain est lié non seulement à la quantité consommée et à la fréquence de consommation, mais aussi à l’équilibre alimentaire global du consommateur (l’équilibre nutritionnel ne se faisant pas sur la consommation d’une prise alimentaire, ni même sur un repas ou sur un jour…).

En outre, si les détracteurs du Nutri-Score le qualifient parfois de « culpabilisant », « infantilisant » ou « anxiogène » pour les consommateurs, aucun travail scientifique, aucune étude sérieuse ne permet aujourd’hui de soutenir ces affirmations.

À l’inverse, de nombreuses études publiées dans des revues scientifiques internationales montrent que Nutri-Score est très bien perçu et bien compris, notamment par les populations défavorisées. Il est apprécié et même plébiscité par 90 % des consommateurs qui souhaiteraient qu’il devienne obligatoire.

Le Nutri-Score pénaliserait les aliments traditionnels, notamment les AOP/IGP qui seraient de « bons » produits ?

Le Nutri-Score ne fait que prendre en compte la composition nutritionnelle des aliments qu’ils soient traditionnels ou non, bénéficiant d’un label d’origine ou non.

Les labels AOP/IGP indique qu’un aliment est rattaché au terroir, produit selon un savoir-faire souvent ancestral et qu’il fait partie du patrimoine culinaire. En revanche, ils n’intègrent pas dans leur définition, et donc dans leur attribution, la notion de « qualité nutritionnelle » (ce n’est pas leur rôle).

Donc même avec un label AOP ou IGP, les aliments gras, sucrés ou salés restent gras, sucrés ou salés. Mais contrairement à ce qui est avancé par ceux qui utilisent cet argument (notamment les filières de productions des fromages et des charcuteries) tous les aliments traditionnels ne sont pas pénalisés par Nutri-Score.

Une étude récente de l’UFC Que Choisir a montré que 62 % des aliments traditionnels sont classés A, B ou C. Seuls les fromages et les charcuteries se retrouvent en D et E, du fait de leurs teneurs en acides gras saturés et en sel (quelques-uns, moins gras et moins salés, sont classés en C).

Ceci n’indique absolument pas qu’ils ne doivent pas être consommés, mais le fait d’être Nutri-Score D ou E ne fait que rappeler que ces produits doivent l’être en quantité limitée (ou avec une moindre fréquence).

L’affichage du Nutri-Score à côté des labels d’origine est tout à fait cohérent avec le concept de « consommer moins, mais mieux »… Pour un même budget, s’il faut finalement limiter sa consommation comme l’indique Nutri-Score, ces autres labels permettent d’orienter les choix vers des produits qualitatifs, locaux, artisanaux.

Le Nutri-Score pénaliserait l’alimentation méditerranéenne, alors qu’elle est bonne pour la santé

Les lobbys italiens de la charcuterie et des fromages tentent de faire croire que Nutri-Score s’opposerait à l’alimentation méditerranéenne argumentant que les charcuteries et fromages italiens sont classés D ou E par Nutri-Score (du fait de leurs teneurs élevées en sel et graisses saturées), alors qu’ils seraient pourtant selon eux des piliers du modèle de l’alimentation méditerranéenne.

Cet argument est fallacieux, car il entretient une confusion entre les aliments symboliques du patrimoine gastronomique italien et ceux promus par le modèle de la diète méditerranéenne. Pour les nutritionnistes, le modèle de l’alimentation méditerranéenne favorable à la santé ne promeut absolument pas les fromages et les charcuteries (qu’ils soient italiens ou non).

Il est caractérisé par une consommation abondante de fruits et légumes, légumes secs, céréales complètes, une consommation modérée de poissons et limitée de viandes, charcuteries, fromages et aliments sucrés, gras et salés. Et l’huile d’olive doit être privilégiée parmi les matières grasses ajoutées, ce que reflète son classement en C (et bientôt en B du fait de la mise à jour du Nutri-Score), ce qui est le meilleur score possible des huiles végétales.

Le Nutri-Score serait trompeur, car il ne tient pas compte de l’ultra-transformation ou des additifs

Le Nutri-Score, dans sa version actuelle, renseigne uniquement sur la qualité nutritionnelle des aliments, et n’intègre pas dans son calcul les autres dimensions qui pourraient influer sur la santé des aliments, tel que l’ultra-transformation, la présence d’additifs, de composés néo-transformés ou de résidus de pesticides.

La raison en est simple : il n’est pas possible, à ce jour avec les données scientifiques disponibles, de prendre en compte et pondérer ces dimensions dans le calcul d’un indicateur unique, et donc de les agréger dans un même logo. Aussi importantes soient-elles, ces dimensions ne sont, pour cette raison, intégrées dans aucun logo nutritionnel validé dans le monde à l’heure actuelle.

Il s’agit là d’une limite des logos nutritionnels (et pas seulement du Nutri-Score) qu’il faut accepter. Il est donc nécessaire de faire figurer des informations complémentaires sur les différentes dimensions santé des aliments (aliments ultra-transformés, aliment bio, etc.). Les concepteurs du Nutri-Score ont par exemple proposé et testé une évolution du Nutri-Score avec l’ajout d’un bandeau noir autour du logo pour signaler qu’un aliment est ultra-transformé.

L’avancée des connaissances sur l’impact des additifs et autres ingrédients industriels sur la santé permettra certainement à terme de faire évoluer l’algorithme du Nutri-Score pour intégrer ces paramètres, mais cela nécessite encore d’importantes recherches (épidémiologiques, cliniques, expérimentales) et expertises pour statuer sur les niveaux de preuve.

Nutri-Score serait absurde, car calculé pour 100g, or on ne mange pas 100g de fromages, de mayonnaise ou de pâte à tartiner…

Ce choix s’explique par le fait que les données sur la composition nutritionnelle des aliments qui sont accessibles, et donc utilisables pour construire un logo nutritionnel sont celles présentes dans le tableau nutritionnel obligatoire qui figure sur la face arrière des emballages. Celui-ci a été défini par la réglementation européenne. Or ces données sont obligatoirement présentées pour 100g (ou 100 ml).

Par ailleurs, définir des tailles de portion pour chaque aliment est impossible, car lesdites tailles devraient être adaptées en fonction des besoins énergétiques de chacun. Or ces besoins diffèrent selon l’âge, le sexe, la période de croissance (pour les enfants), la grossesse, l’activité physique…

Autre problème : les tailles de portions affichées sur les emballages ne sont pas standardisées, elles sont fixées par les fabricants eux-mêmes. Or, très souvent, elles sont définies bien en dessous des portions réellement consommées, ce qui donne l’impression au consommateur que les quantités de gras, de sucre ou de sel qu’il consomme sont moins importantes que ce qu’il ingère réellement. À titre d’exemple, la taille annoncée d’une portion de barre chocolatée correspond à la moitié du paquet…vendu pourtant en emballage individuel.

La prise en compte d’une quantité standard, telle que 100g est le meilleur choix permettant une comparaison valide entre les aliments sans induire d’erreur d’estimation. Ce dénominateur commun permet ainsi de comparer 100 ml d’huile d’olive à 100 ml d’une autre huile ; 100g de céréales « petit-déjeuner » à 100g d’autres céréales ; 100g d’une pizza à 100g d’une autre pizza ; 100 g d’emmenthal, à 100g de Maroilles, de Roquefort ou de mozzarella, etc. De la même manière que le prix des produits est généralement fait en comparant les prix au kilo…

Nutri-Score n’inclut pas tous les composants nutritionnels des aliments intéressants pour la santé

Un logo nutritionnel, quel qu’il soit, ne peut intégrer tous les nutriments d’intérêt contenu dans les aliments : Vitamines, minéraux , polyphénols, sucres libres, types d’acides gras… Et ce, pour une raison pratique : les données sur la composition de ces éléments ne sont pas disponibles. En effet, ils ne font pas partie de la déclaration nutritionnelle rendue obligatoire par la réglementation européenne (réglement INCO), ce qui empêche de les intégrer dans le développement d’un logo nutritionnel.

Mais par ailleurs, un processus scientifique très rigoureux intégrant de nombreuses études a été utilisé pour justifier les nutriments ou éléments retenus dans l’algorithme de calcul du Nutri-Score et pour limiter, par des études de sensibilité, leur nombre et éviter les redondances entre les éléments.

L’algorithme prend en compte de façon indirecte beaucoup plus d’éléments que la seule liste de ceux affichés pour son calcul. Par exemple, les fruits et légumes qui ont été intégrés dans l’algorithme de calcul du Nutri-Score correspondent à un excellent indicateur des teneurs en diverses vitamines des aliments (vitamine C, bêta-carotène…). De la même façon, la prise en compte des protéines est un bon reflet indirect de la teneur en minéraux comme le calcium et le fer.

L’algorithme de calcul du Nutri-Score a déjà changé, c’est la preuve qu’il n’a aucune base scientifique

Depuis qu’il a été proposé par les scientifiques en 2014 et comme cela a été acté au moment de son adoption en France en 2017 (puis dans d’autres pays européens), il était prévu que l’algorithme de calcul du Nutri-Score évolue. Il est en effet régulièrement révisé sur la base de l’évolution des connaissances scientifiques ainsi que des recommandations nutritionnelles, qui s’affinent en fonction de ces nouvelles connaissances, et de l’évolution du marché alimentaire (apparition de nouveaux produits, innovations, reformulations…) ou des retours d’expérience liés à son déploiement.

Il est donc tout à fait normal et souhaitable que des mises à jour du Nutri-Score aient lieu régulièrement (elles sont planifiées tous les 3 ans). À cet effet, un comité scientifique européen a été mis en place dans le cadre de la gouvernance transnationale du Nutri-Score rassemblant les 7 pays qui l’ont adopté. Composé d’experts indépendants, il est chargé de sa mise à jour.

Après 2 ans de travaux scientifiques intensifs entamés en 2021, ce comité a proposé des modifications dans son mode de calcul impactant un nombre limité d’aliments. Ces changements pénalisent notamment davantage les produits sucrés et salés (céréales « petits-déjeuner », yaourts à boire et boissons lactées sucrées, plats préparés, pizzas…), la viande rouge, les boissons édulcorées. À l’inverse, ils améliorent le score d’autres aliments (produits céréaliers complets, huile d’olive, fromages moins salés…).

Nutri-Score ne servirait à rien : il suffirait de faire de l’éducation nutritionnelle

Ces deux stratégies ne s’opposent bien évidemment pas ! Le Nutri-Score est un élément d’une politique nutritionnelle de santé publique. Aucun scientifique ne considère que Nutri-Score à lui seul peut résoudre l’ensemble des problématiques nutritionnelles.

Compte tenu des enjeux de santé publique, le déploiement du Nutri-Score doit être complété par d’autres mesures dont l’éducation, la réglementation de la publicité et du marketing, la meilleure accessibilité économique pour tous à des aliments de bonne qualité nutritionnelle. Toutes ces approches ne sont pas exclusives. Au contraire, elles sont, bien sûr, complémentaires.

Il existe, en fait, beaucoup d’autre fake news diffusés par les lobbys dont certaines sont incroyablement fantaisistes voire complotistes. L’absurdité de ces arguments pourrait prêter à sourire s’ils ne venaient polluer le débat de santé publique. Il est essentiel de démystifier des faux arguments qui visent à empêcher le déploiement du Nutri-Score et servent souvent d’éléments de langage aux lobbys pour semer le doute et défendre des intérêts purement économiques, au détriment de la santé publique.


Auteurs

Serge Hercberg, Professeur Emérite de Nutrition Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13) – Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord;
Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord;
Mathilde Touvier, Directrice de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Inserm et
Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAe, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm, Université de Paris, Université Sorbonne Paris Nord, Cnam, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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